« Vermeer est un peintre fin qui peint flou. Curieux. »

Daniel Arasse Histoires de peintures

  

Bruno Leray peint ; il a la force de chercher la matière de la peinture et de s’inscrire dans une histoire de l’art dont il est nourri depuis longtemps ; il peint des portraits, un genre ancien, outil de témoignage ou d’introspection autour de la figure humaine. Il appelle ses tableaux des I A, pour Impression Atelier, en hommage à Monet, en se référant également au processus de son travail dans son atelier aux grands vitrages dépolis.

Bruno Leray peint des portraits (tête, parfois épaules, buste) tels qu’ils pourraient apparaître derrière la camera obscura d’une vitre dépolie ou sous les tarlatanes qu’il utilise pour essuyer l’encre de ses gravures. Visages voilés, flous, aux tonalités sourdes, parfois vives, sur fond mouvant.

Aucun décor, pas d’échappatoire, la sensation d’entrer dans l’aquarium de l’atelier. L’artiste travaille - glacis, medium, couleurs, variations de la lumière - et fait vibrer la carnation de la chair, la suggestion d’un regard qui se détourne ou nous fait face.

Figura, en latin, c’est aussi une manière d’être - être au monde dans ce bref interstice qui nous est offert, ce peu de chair et de temps qui nous dit quoi de l’ici, de l’ailleurs et de l’au-delà, de notre rapport à nous-mêmes et aux autres, notre espérance ou notre inquiétude ; c’est ce qui nous regarde dans ces tableaux : figures de l’humanité, figures sous le voile, sur la toile - lares de notre foyer ou étrangers à notre monde, figures présentes ou défuntes, devant le temps.

En évoquant un tableau où le visage de l’homme est dissimulé derrière une pomme, Magritte disait que « toute chose ne saurait exister sans son mystère ». L’énigme des tableaux de Bruno Leray nous trouble. C’est au delà du beau ; on ressent ce que Barthes appelait le punctum en parlant d’une photographie : « ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne). » Alors nous recevons l’image « en plein visage ».  Pas seulement parce que c’est un portrait. Si un jour Bruno Leray peint des objets ou la végétation d’un jardin japonais, il est à parier que ses images nous interrogeront de la même manière sur leur (notre) vie intérieure et nous donneront autant de joie profonde.

                                                                                                   Janine Desmazières (février 2015)




"figures libres",
peintures de Bruno LERAY.
Du 11 mars au 5 avril 2014
à la galerie Place à l'art, Voiron :


Prendre figure et perdre la face

C'est une humanité en extase ou aux affres, qui est ici mise en scène. Bruno LERAY peint des figures - le plus souvent défigurées. Puisant volontiers dans un registre religieux et notamment dans l'œuvre d'EL GRÉCO (dont on célèbre cette année le 400e anniversaire de la mort), l'artiste grenoblois donne à voir, dans des tableaux aux cadrages serrés, des visages aux yeux levés vers le ciel et à la bouche bée : saints touchés par la Grâce divine ou, tout bonnement, pauvres humains que la vie dépasse.
Rares sont les visages indemnes, dans cette galerie de portraits. S'inscrivant dans le registre pictural d'un Francis BACON ou d'un Jean RUSTIN, Bruno LERAY dépeint des figures voilées, épongées, gribouillées, tachées, déchirées, lacérées, réduites parfois même à l'état d'écorché. On songe aussi à ces personnages nus, qu'on dirait vus derrière une vitre ruisselante de pluie : leurs traits tordus, leurs corps défaits. Cette humanité est démunie, difforme, grimaçante. Elle ne semble jamais apaisée. Et le châssis des peintures, très épais, en détachant le tableau du mur, confère une réalité plus tangible encore à ces faces... qui perdent la face.
Mais à l'image de ces deux mains ouvertes, réunies en forme de cœur, au creux desquelles repose une poignée de billes, la peinture de Bruno LERAY est toute tendresse, miséricorde et générosité. À cette humanité mal en point, elle offre une attention infiniment bienveillante.

Jean-Louis Roux
Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné, 21 mars 2014.


Bruno Leray recrée les lignes du visage de ses ancêtres. La peinture aplatit le froissement du document initial. Elle transforme les tensions du papier en traits du visage. Ce ne sont plus des portraits mais les traits du souvenir éprouvé. Entre la maîtrise du geste minutieux et la violence iconographique, entre la lenteur de l’exécution et l’immédiateté de l’image, on ne sait plus vraiment si Bruno Leray est peintre. Mais peu importe, car ses œuvres creusent un sillon dans notre œil et notre vécu, elles nous bloquent et nous figent par leur présence.
Sans yeux, elles nous regardent mieux. Elles nous consternent de silence.
Pour donner chair à l’invisible, il ne faut pas se tromper de couleur ni de détail. La précision est de mise car il ne s’agit pas de la vision flouée d’un fantôme.

Laetitia Bischoff, 2006


A travers ses portraits ou autoportraits, Bruno Leray installe un jeu de miroirs qui dévoile ce qui se cache sous les armures rutilantes, les forces et les fragilités de ses modèles.
Son « septique » montre des corps scarifiés ou renvoyés par un miroir piqué par les années, des reflets montrant à la fois des icônes figées dans des postures artificielles et des martyres mis à nu, troublants de justesse.
Un « septique » qui démontre que l’on peut saisir la vulnérabilité des relations et pourtant y croire de toute son âme.
En peignant ses proches aux côtés de Francis Bacon, Bruno pose aussi la question de la filiation.
Sa quête de vérité, il la réalise en apposant des couches successives de peinture qu’il creuse ensuite à la ponceuse pour retrouver les strates les plus anciennes. Une résurgence du passé vers le présent qui révèle la complexité et la vulnérabilité de l’individu.
De même, en déformant le visage de ses modèles pour leur donner des expressions improbables, il cherche à révéler leurs secrets.
Un filtre de vérité qui n’est pas toujours flatteur mais qui officie à merveille.
Bruno Leray nous propose un réel questionnement sur la perception et l’identité…

Li-Cam, 2006



Bruno Leray peint l'humain. Son approche bien au delà de la peau cherche l'intérieur.
Chaque touche est une quête, les couleurs vibrent, des roses nacrés au gris intense, pour souligner une architecture invisible comme la construction d'une âme.
Leray peint comme Giacometti, obsédé par une recherche de compréhension de la dimension humaine. Chaque geste est une absolue nécessité, d'une intensité rare.
Devant un tel travail de peinture nous semblons comme mis à nu et pourtant il règne sur ces couleurs un air de mystère.
Il y a bien dans cette œuvre toute la complexité de l'homme, toute sa beauté aussi.

Fabien Martinand, 2009